Un livre réécrit l’histoire du génocide rwandais

Dans un pamphlet sans nuances, Pierre Péan dénonce le « mauvais procès » fait à la France pour son attitude au Rwanda.

La Croix, 12 décembre

Les ouvrages de Pierre Péan font toujours du bruit, et celui qu’il consacre au Rwanda ne fait pas exception. L’« enquêteur écrivain » procède, par un effet de miroir, au démontage systématique de tout ce qu’il appelle l’« histoire officielle ». Il revisite certains faits méritant enquête, comme l’attentat qui coûta la mort aux présidents rwandais et burundais ou les crimes commis par le Front patriotique rwandais (FPR), mais surtout, et c’est là que le bât blesse, une majorité de faits avérés, dont le génocide lui-même. Dès le préambule, le lecteur découvrira par exemple au détour d’une phrase que « le nombre de Hutus assassinés par les policiers et les militaires » du FPR « est bien supérieur à celui des Tutsis tués par les miliciens et les militaires gouvernementaux » : « 280 000 » tout au plus, et non 800 000 comme l’affirme l’ONU. Sur quoi s’appuie cette affirmation à l’emporte-pièce ? Sur un témoignage anonyme, lui-même rapporté par un témoin sujet à caution (p. 277).

« La culture du mensonge et de la dissimulation domine toutes les autres chez les Tutsis et, dans une moindre part, par imprégnation, chez les Hutus. » C’est à l’aune du sens de la nuance recelé par cette phrase que Pierre Péan donne sa version du drame rwandais et de ses racines. Non en enquêtant sur le terrain, non en donnant la parole à des analyses et à des témoignages divergents, mais uniquement en s’attaquant violemment à ce qu’il appelle le « cabinet noir » du FPR de Paul Kagamé, aujourd’hui au pouvoir au Rwanda. Un cabinet bien rempli, formé des journalistes ayant couvert le génocide, à l’exception du seul qui défende les mêmes thèses que l’auteur, et plus globalement de ceux qui ont osé affirmer que le rôle de la France avant et pendant le génocide n’avait pas été dénué d’ambiguïtés et de fautes. Sur ce point, il faut noter que les conclusions de la mission parlementaire d’information sur le Rwanda (1998) qui, malgré des manques criants, avait étayé certains de ces errements, sont ignorées comme l’est un autre rapport de référence, « Aucun témoin ne doit survivre », cosigné par Human Rights Watch et la FIDH.

L’auteur néglige tout ce qui pourrait aller à l’encontre de sa thèse, mais prend pour argent comptant les plus improbables « messages secrets » du FPR censément captés par les Forces armées rwandaises (FAR) ou le témoignage d’un individu, Abdul Ruzibiza, publié par ailleurs. Le retournement de l’« histoire officielle » ne serait pas parfait si le camp des génocidaires n’était pas lavé de tout soupçon, voire glorifié. Pierre Péan réussit ce tour de force, au prix d’une révision de l’histoire rwandaise puisée aux sources les plus partiales et d’une impasse totale sur tous les faits démontrant la préparation minutieuse du génocide, qui passa notamment par la formation des milices de tueurs Interahamwes et l’achat massif de machettes. « Pour comprendre la stratégie rwandaise, écrit l’auteur, il faut constamment avoir en tête les frustrations, la colère et l’amertume des responsables d’un régime constamment méprisé, humilié par la communauté internationale. » Exploitant des archives de l’Élysée et du ministère des affaires étrangères, Péan s’emploie à démontrer la tiédeur de Paris à soutenir ce régime si injustement accusé.

Les erreurs involontaires passent au second plan, mais on ne résistera pas au devoir de signaler à l’auteur que l’ancien président Bizimungu, s’il est prénommé Pasteur, n’est en rien ministre du culte protestant. Plus sérieusement, on rappellera à celui qui enquête à distance, officiellement par crainte d’« être contraint de serrer la main » ou même de parler à l’une des nombreuses victimes de lynchage de ce livre, que les journalistes qui enquêtèrent sur le moment ne furent en rien « encadrés » par le FPR ou par quiconque.

Et c’est bien le problème de fond qui justifia sans doute l’écriture de ce livre.Beaucoup, à l’image de Patrick de Saint-Exupéry** dans son ouvrage L’Inavouable (Les Arènes, 1994), ont témoigné de ce qu’ils ont vu. La précision de leurs accusations, la qualité des responsables désignés appelait immanquablement une riposte, mais celle-ci, incarnée par l’ouvrage de Péan, tombe à plat, victime de ses outrances. L’histoire des crimes commis par le FPR, l’histoire du génocide et celle de l’implication française dans ses prémices restent à écrire.

**http://www.arenes.fr/livre/linavouable/