Pierre Péan, une vieillesse française.
Le Gri-Gri International, 15 décembre 2005.
Il est des critiques de livres que l’on se réjouit de faire. Il en est d’autres que l’on préfèrerait ne pas avoir à faire. Tel est précisément le cas. C’est que de Noires fureurs, blancs menteurs, le livre en questions, il n’est guère à tirer, excepté l’outrance et le fumet nauséeux. Saisi d’effroi au bout de quelques pages, le lecteur initié aura bien du mal à aller jusqu’au terme de sa lecture. Quant au novice, il finira rapidement épuisé, tant Pierre Péan, l’auteur, semble avoir une pensée à l’image de sa plume : confuse et hachée.
En quelques mots, que veut démontrer Péan ? Deux points basés sur un postulat. Le postulat ? L’histoire récente du Rwanda est truquée. Sur cette seule base, ressortant de l’acte de foi, le voici lancé à la poursuite de ses deux obsessions : 1/ les victimes du génocide ne sont pas les victimes, mais les coupables ; 2/ François Mitterrand, alors responsable de la politique française, était un humaniste méconnu.
Le problème, c’est que tout au long de cette soi-disant « enquête » (tel est l’intitulé du livre retenu par l’éditeur), l’auteur franchit allégrement, et avec une inconscience sidérante, toutes les lignes rouges. Sur un fond haineux, il n’hésite à aucun moment à tordre le cou aux faits, à mélanger la plus pure affabulation à quelques éléments factuels déjà connus, ou à broder d’imaginaires interprétations. Il ne s’agit visiblement pas pour Péan d’enquêter mais de démontrer. A tout prix. Au prix même du risque de la propagande.
Deux remarques à l’appui. Pierre Péan ne s’est pas rendu au Rwanda, ce qui est gênant quand l’on prétend démontrer une « immense manipulation ». De même, tout à sa volonté de stigmatiser une prétendue « cinquième colonne » – dont l’auteur de ces lignes – il n’a pas pris la peine de décrocher son téléphone avant de mettre en cause ses « cibles ».
Le résultat est écœurant et ressort du libelle, ces petits écrits à caractère diffamatoire qui pullulèrent en Europe dans la première partir du XXème siècle. Le général Dallaire, patron des forces de l’ONU au Rwanda est ainsi décrit comme un homme qui « méprise les africains francophones » et à la partialité avérée car il aurait « hébergé une Tutsi sous son toit ». Madeleine Mukamabano, journaliste de RFI, ayant perdu une partie de sa famille lors du génocide, aurait, elle « parfaitement » usé et joué du « rôle de rescapée de la barbarie hutu » afin de « séduire et convaincre les personnalités françaises ». Quant à Imma T. (une Tutsi, bien sûr), supposée mystérieuse espionne, Pierre Péan expédie son cas en quelques mots d’une redoutable et exécrable violence : elle « parlait bien et pleurait facilement ».
L’auteur, tout à sa tâche et à sa volonté de violence, exprime également sur un ton qui se voudrait de l’évidence les pires clichés : les Tutsi, victimes du génocide, sont ainsi supposés constituer une « race » dont un trait de caractère serait l’immémoriale « culture du mensonge ». Cette « race » serait également parvenue à former « un lobby Tutsi » à la redoutable efficacité puisqu’elle dirigerait ses « très belles femmes » vers « les lits appropriés ».
L’outrance de l’ensemble est telle que l’on en finit par se demander si la véhémence et la provocation ne sont pas volontaires. L’émotion, la polémique et le scandale visiblement recherchés par Péan créent nécessairement un trouble. Et ce trouble à l’immense avantage de permettre de gommes toutes les épineuses questions de ce dossier, dont la moindre n’est pas celle du rôle de la France au Rwanda.
Finissons-en là. Pour relever deux points qui resteront longtemps – cela est écrit – source d’étonnement et de réflexion : 1/ sans le moins du monde s’interroger, une partie de la presse française a largement ouvert ses micros et ses colonnes à Pierre Péan ; 2/ selon le Canard Enchaîné, la « perception » par « l’entourage de Villepin » de la crise rwandaise « n’est pas éloignée de celle de Péan ».
Patrick de Saint Exupéry.
http://www.arenes.fr/livre/linavouable/