Un dissident français

Laurent Beccaria, éditeur

François-Xavier Verschave est mort, ce jeudi 29 juin, d’un cancer du pancréas, qui l’a enlevé en quatre mois. Se sachant condamné, il a continué à travailler, corrigeant les épreuves de son dernier livre, sans un regard en arrière, comme il a vécu. Cette attitude ne sort pas de n’importe où.

François-Xavier Verschave était un dissident français. La chape de plomb qui protège le néo-colonialisme français en Afrique est trop lourde, trop étouffante, pour que l’on hésite à employer ce terme. Rares sont ceux qui osent se soulever contre leur pays. François-Xavier l’a fait, explorant tous les « trous noirs » de la République, avec une énergie peu commune.

Il incarnait jusqu’à la démesure un certain nombre de vertus que l’on attend de ceux qui se dévouent au bien commun : la rectitude morale, la curiosité, l’enthousiasme, l’honnêteté. Son désintéressement était unique : tous ses livres – vendus à plus de 200 000 ex au total – ont été écrit au bénéfice de Survie, auquel il abandonnait ses droits d’auteur dès le premier centime.

Il était entré en dissidence sur le tard, à l’âge où tant d’autres choisissent justement le confort. Sa rencontre avec l’Afrique est le fruit d’un grand rêve déçu. Répondant à l’appel de plusieurs prix Nobel pour lutter contre la faim dans le monde, il s’était passionné par cette cause, multipliant les contacts, les initiatives les plus consensuelles. Jusqu’au jour où il s’est rendu compte que côté pile, la République affichait ses bonnes intentions d’aide au tiers-monde, tout en bloquant, côté face, les initiatives pouvant troubler les réseaux françafricains…

Ce doux n’acceptait pas le mensonge. Toujours entre deux rendez-vous, comme un courant d’air, sa mallette remplie de dossiers, avaleur de livres, prenant sur les nuits pour écrire, toujours en mouvement, il a pris la tête de tous ceux qui refusaient l’inacceptable.

Malheureusement, ils étaient peu nombreux.

Notre première rencontre date de 1997. J’ai été frappé ce jour-là par le dénuement de Survie. François-Xavier Verschave s’est toujours battu à mains nues, dans l’indifférence générale. Cette première collaboration a débouché sur La Françafrique, édité chez Stock, imposant ce mot dans le débat public. Premier livre et premier procès intenté – et perdu – par Charles Pasqua, qui demandait cinq millions de francs de dommages et intérêts.

Devenu éditeur indépendant aux Arènes, nous lui commandâmes aussitôt une suite. Elle arriva sous la forme d’un pavé de plus d’un million et demi de signes, qui nous effraya. Nous sortîmes de la lecture de Noir silence accablés par son contenu, convaincus qu’il fallait publier le livre, mais certains également que l’ouvrage était invendable. Pourtant le jour de sa sortie, entre neuf heures et midi, notre téléphone fut assailli par des demandes de lecteurs. Sans une ligne dans presse, l’ouvrage fut réimprimé plusieurs fois. On appelle cela le bouche-à-oreille. Lire la suite : https://survie.org/billets-d-afrique/2005/139-septembre-2005/article/un-dissident-francais-30-juin-2005